Les mains frigorifiées, tremblantes dans ses gants
Le chalu’ rentre au port en tanguant lentement
La mer n’a jamais eu pour lui aucun secret
Mais c’est la dernière fois qu’il remonte le filet
Marchant seul sur le port il repense à son père
Quand plus de cent navires chaque jour prenaient la mer
Quand les marins chantaient dans les bars tard le soir
Retrouvant leur compagne le cœur empli d’espoir
Mais ce soir licencié marchant seul sur ce quai
D’un port de pêche fermé et son rêve envolé
Il pense alors à son voisin agriculteur
La traite quotidienne, debout depuis cinq heures
Se tuant au travail pour quelques fifrelins
Il fut trouvé pendu dans sa grange un matin
Au nom d’un libre échange
Ils ruinent nos producteurs
Mais dans ce monde qui change
A chacun sa part de malheur
Je ne suis ni pêcheur, ni agriculteur
Je n’ai pas bougé de devant mon téléviseur
Les mains déformées, les poings serrés dans ses gants
La dernière coulée sort du four lentement
L’acier pour sa famille n’a jamais eu de mystère
Une dernière fois, il raccroche son bleu au vestiaire
Marchant seul dans la rue il repense à son père
Quand par millier les prolos prenaient leur poste fiers
Débriefing à la pause, devant un café noir
Puis retour au boulot le cœur empli d’espoir
Mais ce soir licencié errant dans les allées
D’un entrepôt fermé et son rêve brisé
Il pense alors à son frère pseudo artiste engagé
Qui avait un tas d’idées, qui voulait tout casser
Se retrouvant plus bas que terre le nez dans la chopine
Sa femme a foutu le camp avec ses deux gamines
Signés dans notre dos
Et saignant nos entreprises
Ces traités qui nous tuent d’en haut
Mais à qui profite la crise?
Je ne suis ni ouvrier, encore moins un chanteur
Je n’ai pas bougé de devant mon téléviseur
Les mains desséchées, encore blanchies par la craie
L’adieu d’un étudiant fermant la porte en sortant
Chacun de ces grands livres n’ont plus aucun secret
Une dernière fois, elle les feuillette en souriant
Se rappelant chaque nom, d’échecs en réussites
Devant des photos de classe qu’elle sort d’un tiroir
Mettant un point d’honneur au respect, au mérite
La clairvoyance d’esprit et la soif de savoir
Mais ce soir effondrée pleurant dans ce couloir
De cette école fermée où plane le désespoir
Elle pense à ce gendarme dont parlent les quotidiens
Qui a sacrifié sa vie pour sauver un gamin
Politiques pétrolières, médias et corruption
Font de nos bienfaiteurs de la chair à canon
Réformes et restrictions
Ruinant nos services publics
Bradant l’histoire d’une nation
Pour faire régner la loi du fric
Je ne suis pas un flic, ni même professeur
Je n’ai pas bougé de devant mon téléviseur
Qui bâtira demain, de quoi vais-je me nourrir?
Qui écrira la suite, qui chantera l’avenir?
Qui m’enseignera l’amour et soignera mes blessures?
Qui défendra mes droits dans cette forfaiture?
Serais-je dans ma tour d’ivoire hors d’atteinte toujours?
Quand la menace viendra qui me portera à mon secours?
Il n’est jamais trop tard pour éteindre nos écrans
Que ne flotte plus ce soir ce court poème d’antan…
(Quand ils ont ruiné la pèche et l’agriculture
Je n’ai pas bougé, je n’étais pas producteur
Quand ils ont détruit l’industrie et la culture
Je n’ai pas bougé, je n’étais ni ouvrier ni auteur
Quand les écoles ont fermé et les acquis bradés
Je n’étais pas fonctionnaire, je n’ai pas bougé
Puis quand c’est à moi qu’ils se sont attaqué…
J’étais seul! Plus personne n’était là pour me protéger…)
Tout ce qui nous divise
Écartons-le un instant
Ayons pour seule devise
D’être humain tout simplement
Je ne suis pas pêcheur, ni agriculteur
Je ne suis ni ouvrier, encore moins un chanteur
Je ne suis pas un flic, ni même professeur
Mais pour ne pas être seul quand viendra mon heure
Je vais bouger de devant ce putain de téléviseur
Je vais bouger avant qu’il ne soit plus l’heure
Il n’est jamais trop tard pour éteindre nos écrans
Que ne flotte plus ce soir ce court poème d’antan
Tout ce qui nous divise Oublions-le un instant
Ayons pour seule devise D’être humain tout simplement
Réponses